Angèle VANNIER
L'ARBRE A FEl
Poèmes
Préface de Paul ELUARD
AVEC QUATRE COMPOSITIONS
de Claude ROEDERER
★
ÉDITIONS DU GOÉLAND
— PARAMÉ (Ille-et-Vilaine) —
î
F
I
IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE
30 EXEMPLAIRES SUR PAPIER
EXTRA -STRONG NUMÉROTÉS DE
I A 30 EN CHIFFRES ROMAINS
ET SIGNÉS PAR L'AUTEUR
Angèle VANNIER
ARBRE A FEU
Poèmes
Préface de Paul ELUARD
AVEC QUATRE COMPOSITIONS
de Claude ROEDERER
ÉDITIONS DU GOÉLAND
— PARA ME ( Ille -et -Vilaine) —
D U MÊME AUTEUR
Les Songes de la Lumière et de la Brume (Savel 1946)
Prix Marie- Bonheur du Goéland - Préface de Th. BR.ÏANT
I
Tous droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays.
Copyright by Angèle Vannier and Goéland 1950.
J'ai entendu Angèle Vannier chanter. Son regard
était dans sa voix et les images qu'elle m'offrait effa-
çaient la nuit.
J'ai entendu Angèle Vannier me promettre le soleil,
car je l'avais oublié, « sa langue d'or — sa langue
vive », car elle avait compris que je ne la parlais plus.
Le langage d' Angèle Vannier ne tourne pas autour
des choses, il va directement aux choses, il les porte
comme une mère porte son enfant luisant, comme un
doigt porte un diamant, pour le montrer.
Des mots plus frais que l'aube m'ont promis la
chaleur et que tout peut fleurir, même ce que je n'ai
pas vu, tout ce que j'ai imaginé. Des mots chargés de
jour éclairent la raison d'être d'un monde dont je ne
connais réellement qu'une infime partie. Lumière par
le cœur, lumière de sympathie, immense et efficace.
Poésie du bonheur, légère langue aérienne qui fait
confiance à ce qui est, sans douter de ce qui sera, cou-
rage qui s'ignore, espoir incarné, sans rien de commun
avec le désespoir.
Le soleil et l'azur, les fleurs, les fruits, les blés, le
visage des hommes, leur rêve et leur effort, leur amour
et leur peine, la lente convulsion des mers et la rouille
des continents, Angèle Vannier aveugle, préserve tout
de l'ombre. Merveilleusement.
« Attelle ta charrette à une étoile », dit Emerson.
Paul ELUARD.
2
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GUÉRIR
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1
GUÉRIR
A la fontaine de feu
Qui dort dans mes mains ouvertes
Écoutant les feuilles mortes
Transpercer sa chair brûlante
L'oiseau boit la flamme verte
Seul témoin de mon espoir
Il jure par le soleil
Par la cendre de mes yeux
Par le puits de mes mains blanches
Que je suis sauvée du bruit.
Gourmandise d'un silence
Où ma bouche et mon oreille
Cueillent un audible fruit
Mûri dans la solitude.
Gardez-moi de la chanson
Qui tourne au coin de la rue
Et de la fille éraillée
Qui veut m'appeler sa sœur.
Gardez-moi d'un grand amour
Qui trancherait mon courage
Avec un couteau tranquille
Aile aiguisée sur l'azur.
Un ami s'en est allé
A cheval sur un navire
Au galop vers quel soleil
Pas celui de ma fontaine
Trop gris pour lever une aube
A la taille de ses yeux.
Si j'étais morte en rêvant
Rien n'aurait changé de face.
J'avais bien voulu partir
J'ai bien voulu revenir
Revenir à la fontaine
Découvrir la paix prochaine
Où les larmes vont fleurir.
L'ENFANT BLEU
Un enfant bleu casqué d'étoiles
Il se mesure avec l'espace
Mer et ciel l'acte d'horizon
Prolonge sa ronde chanson
Quand il la joue à pleines voiles.
Grave et dur cassant les carreaux
Avec les cailloux qu'il expire
Il demeure dans l'indigo
Le temps d'aimer tous les oiseaux.
Il s'agite sous mes paupières
Comme un oiseau multiplié
L'enfant qui cerne la lumière
Avec les bras qu'il a gagnés.
Pas une main pas un visage
Sa présence est une couleur
Pas une voix mais un message
Il dissout mes plus vieux nuages
L'enfant loué par sa rigueur.
PIERRE
Ton nom comme un diamant
Lumière d'eau solide
Ton nom comme un caillou très dur
Posé sur la terre fertile
D'où je viens où je vais naissance et mort
Et puis naissance encore
Ton nom debout et soutenant cette demeure
Bâtie pour nous par les oiseaux du ciel
Pierre sur Pierre ô la maison
Dans laquelle nous dormirons
J'y changerai mon cri de vierge
Contre le goût de ton sommeil
Mon cœur descendra dans ta bouche
Comme une jarre vide au fond d'un très doux puits
Et n'en remontera qu'à la fin de la nuit
Avec cette lourdeur heureuse et balancée
Qu'ont toujours les choses comblées.
Pierre ton nom c'est un navire
Tout est perdu puisqu'il s'enfuit
Pierre ton nom c'est une étoile
Tout est gagné si je la suis
Pierre ton nom sur les chemins
Tous les chemins perdus qui gagnent le grand jeu
En passant par l'eau claire
Et les bons fruits
Et le climat des oiseaux bleus
Tous les chemins qui montent vers le feu
Lorsque chacun parie pour le mystère
Et que la nuit fait détaler la terre.
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POUR UN POÈTE
Ton visage grandit dans Pombre
Remplit ma chambre et me contient
C'est à ta langue que j'adhère avec délices
Comme le coquillage à la proue du vaisseau
Répète-moi dans le tohu-bohu de tes grands mots.
Que je demeure en ta parole
Malgré tout malgré toi
Malgré la défense des rois
Malgré le vent qui souffle de là-bas
Malgré la pluie des sauterelles
Et Pinvasion des enfants morts
Malgré le sort malgré le sort.
Que je demeure en ta parole
Ta voix ta voie
La voix la voie des solitaires
Qui changent l'ordre de la terre.
Tu fais lever le pain dans le sable éternel
Tu vas puiser le vin dans les caves du ciel
Et tu cultives des fontaines dans la pierre
O mon ami beau solitaire.
Que je reste toujours
Le heu par où tu dois passer
Que je te sois obligatoire ô mon ami
Mais tendrement à la manière de l'oasis
Au pèlerin qui franchit le désert.
Il te faudra si peu creuser
Pour découvrir ma source.
ï5
D'ABORD DES CRIS.
D'abord des cris soulevèrent ma chair
Bulles crevant à la surface humaine
Avant d'atteindre l'appelé
Puis son absence me devint
Plus nécessaire que le pain
Plus intérieure que la faim
Intarissable elle coula
Le jour la nuit pendant des mois
Et ma raison fut inondée.
Mon cœur nageait entre deux eaux
Telle la quille d'un bateau
Soutenant tout le poids qu'il faut
Mais dont la voile à découvert
Propose un songe à l'univers.
Navire en chambre close soleil dans un miroir
La mer il n'y a pas de mer pas d'espoir.
A bord une fille qui va mourir
La fièvre exauce son désir
La religieuse tient un livre de cristal
Elle lira délivrez-nous du mal
Mais la fille en partance appelle longuement
Celui qui bouge au cœur du livre transparent
Il change sans effort le signe de la Bible
Sa bouche appartient aux miracles
Tout en faisant la part du sang
Et les amis s'en vont chassés par cet absent
Tellement il est invisible.
16
Nos amis les chanteurs les charmeurs de serpents
Comme vous aimiez ma détresse
Vous attendiez l'épave la promesse
La figure de proue qui reste
Revenant toujours de partout
Avec la cicatrice au cou
Mais un soleil entre les dents
Pour le dessert de vos enfants.
Et la parole est au silence maintenant.
17
DÉLIVRANCE
Épuiser l'ombre
Avec des mains profanes
Si j'atteins le fond de la nuit
Mon existence est une étoile
Une fatalité d'or blanc
Ravivé par un ciel de larmes.
Comment faire pour être pure
Et dévorer la nuit à belles dents
Comme une louve aux yeux de biche
Où la crainte se fait lumière et profondeur.
J'avais une maison
Château hanté par les héros
Morts pour la poésie.
l'avais un bel enfant un bohémien
Toujours frété pour la fugue en plein vent
Ses yeux enchantaient les chaumières
Et ravissaient les agneaux par amour.
J'avais une forêt à grand spectacle
Effaçant les chagrins
Avec un murmure éternel.
J'avais une misère invisible à l'œil nu.
J'avais un univers fermé
Convoité par de doux prophètes.
Et maintenant tout est brûlé par ce bleu fjxe_
Depuis hier depuis toujours depuis que j aime
J'ai peur de moi mon visage est détruit
Ma solitude est un désert stérile
J'ai peur de moi ma misère est violée
Te fais pitié aux animaux sauvages
Qui se cachent de l'homme pour souffrir
Je fais pitié l'amour m'est défendu.
Je n'aime plus personne. J'aime.
i8
La glycine fleurit deux fois dans une année
Prêtez-moi prêtez-moi la terre et la rosée.
J'entends un souffle on a crié
Épouse l'ange du verger
Avant qu'il n'ose s'échapper.
Délivrez-moi délivrez-moi
Fais-moi l'aumône au nom du roi
Nous irons dormir dans les bois.
Du plus lointain pays connu
Le chemineau mon frère
Ramène des rivières
Son dos soutient la vérité
Son cœur raconte des prairies
O mines saisonnières
Où le vert en puissance
Habite sourdement.
Épuiser l'ombre
Avec des mains bénies
Je connais le fond de la nuit
Mon existence est une étoile
Une fatalité d'or vert
Où la pureté se fait chair.
Je prends la place des prairies.
Ah! que la terre est infinie!
FÊTE
Rien ne va plus. Tout recommence.
Chacun prend son plaisir où il le pense.
Les garçons font leur mise avec un caramel
Ils ont du goût pour la loterie
De Pierrette qui est jolie - • ,
Moi je veux cavaler vers les lampions du ciel
Et je choisis le cheval blanc
Celui qui monte et qui descend
Pendant que la planète tourne!
Quel manège! Quel manège!
Je prends mon rang dans le cortège
Mon petit cœur monte et descend
Monte et descend tout en tournant
Un vrai bonheur pas de la frime
Fallait du génie pour inventer çà.
Ah! Il la connaissait celui-là
Là la technique du chavirement sublime.
Quel manège! Quel manège!
Quel drôle de manège à croire
Croire aux étoiles de la foire.
L'homme qui se nourrit de feu
Devient une fière chandelle
Des taches de rousseur tout autour de ses yeux
Scintillent comme des étincelles
Et le ton de la flamme^
Qui descend dans mon âme
Monte dans ses cheveux.
Laissez-moi croire laissez-moi croire
Croire aux étoiles de la foire
C'est l'athlète qui tient le monde
Qui tient le monde à bout de bras
Elle en bave la grande blonde
20
Ouvrant des yeux comme des plats
Hein femme du petit mari
Qu'est-ce que t'en dis? Qu'est-ce que t'en dis?
C'est la danseuse de quinze ans
Qui fit l'amour avec le vent
Pour avoir les hanches légères.
Posez la main sur votre cœur
Cher Monsieur l'Instituteur
De peur qu'il ne s'envole
L'autre main sur votre lorgnon
Il va tomber en pâmoison
Car les ailes de votre nez
Battent un peu plus qu'il ne le faudrait.
Pour les parents pour les enfants
Voici le clown qu'on attend
Pour les parents pour les enfants
Qui s'amusent à être heureux
Le clown avec sa pauvre gueule de bois mousseux
Dont il fait tout ce qu'il veut.
Qu'est-ce qui lui prend? Eh bien alors! —
Il nous fait la tête de mort.
Quel manège! Quel manège!
Oh la belle gueule de neige
Histoire d'en fiche un gros boum
Le clown est mort. Vive le clown!
Pleurez pas sur lui les enfants
Les clowns c'est comme les autres gens
Et comme les marionnettes
Sur la planète
Ils font font
Trois petits tours et puis s'en vont.
Vive la fille aux cuisses nues!
Et la vie continue.
3
21
JARDIN
Jardin je t'ai donné la forme de mon cœur
Et je t'emporte dans mon rêve
Au sein des villes.
En pleine neige
Nous nous parlons souvent jardin
De capucine folle et d'amours au jasmin.
Savoir pourquoi les murs de mon jardin
Sont creusés par la lune
Dont les rayons rongent la pierre
Comme la pluie comme le vent
Et comme l'ombre de l'amour.
Mon jardin mon enfance aux prunelles blessées
Nos deux langues unies se parleront toujours
De notre terre
De notre chair.
Où croissait l'immortelle
A côté du pavot fragile.
Dans la maison que mon jardin protège
Dans la maison vitrée que j'habite la nuit
Au fond d'une cachette ouverte par la lune
Des pavots morts j'ai retrouvé la graine
Mélangée aux fleurs d'immortelle.
Moi pâle j'ai mangé les graines merveilleuses
Pour éclairer mes joues
A la couleur de leur sang généreux
Et faire bon visage au pauvre que j'assume.
Mais j'ai fait la part du mystère
N'osant toucher du doigt les fleurs les immc
De peur qu'elles ne tournent en poussière.
22
AOUT
A la lueur des foins coupés
Dans une zone de parfum
Je me délivre d'un chagrin
D' un chagrin pris l'hiver dernier
A force d'avoir trop rêvé.
Aujourd'hui c'est l'azur je retourne à la vie
Avec un cœur trop grand pour un corps fatigué.
Mais je crois si passionnément en l'été!
Les insectes chanteurs couronnent la montagne
Bonjour à toi bonjour à ma compagne
Beau ciel nous allons comprendre les fleurs.
Je me confonds avec la reine
Où la bergère c'est la même
Fille étoilée porte ouverte sur la candeur.
Il fait un paradis profond
A croire tous les hommes morts.
Je partage avec les miroirs
Les fontaines et les rivières
Le droit d'épouser la lumière
Avant que ne tombe le soir.
Je ne suis pas de ce vent dur
Où vit la feuille sans repos.
Je ne suis pas de ce désert
Où l'âme ne fleurit jamais
Faute d'eau fraîche à sa racine.
Je ne suis pas de ce vieux monde
Où les fous saignent les colombes
Sans écouter battre leur cœur.
Je suis de ce soleil je suis de ce village
Je suis de ce grand feu fécond.
Laissez-moi vivre à ma façon!
23
SUITE
FORESTIÈRE
L'ENFANT DU DRUIDE
L'enfant du druide ouvrit les vannes du silence
Un chant se répandit longtemps
L'eau le sang le feu
Les trois dans la forêt
Pour bâtir un palais d'automne.
Un grand secret faisait la roue sur le parvis
D'un clair obscur jaillit la fleur miraculeuse
Le double de la pierre philosophale.
L'enfant faisait la chasse à la folie
Il délivrait des plages de cristal
Sous un vieux chêne inconsolable.
La clé la clé disait mon compagnon
Cet enfant la chantait
Gomment n'avons-nous pas dérobé son empreinte
Nous qui savons porter si haut
De très favorables oiseaux.
Mais j'entendais la clé couler au fond de moi
Avec un bruit d'aile blessée
Le goût du jour s'organisait dans la feuillée
Tandis qu'une salve d'automnes
Fusait de tous les points du bois.
Lui sur le seuil insultant l'or
Et dépouillé de sa tunique de bruyère
L'enfant du druide
Écartelait des roses forestières.
29
SI JE PLANTE..
Si je plante ma langue en terre
Lèveront de grands lys de feu
Ce sont les cierges que Ton veut
Dans les chapelles forestières.
N'approchez pas c'est le royaume
Où les soldats sont désarmés
La femme marche sur la tête
Sous les tilleuls en or parfait.
Laissez vos montres à la porte
Vos ongles à la pierre forte
Montez les marches du palais
Un peu plus haut que la poussière
Où la fille aux cheveux de Un
Distribue le pain quotidien
Les yeux fermés sur son destin.
Les loups ont bu l'eau des rivières
Ils feront gorge de velours
Ils épouseront la bergère
Sur la terrasse de la tour
Mais les enfants qui naîtront d'elle
Auront des anges dans les yeux.
Le drapeau de la citadelle
Avait été passé au bleu.
V ;
LA FILLE EN TROIS
Une colombe bleue s'éveille entre mes bras
Miracle découvert je suis avec les anges
Au fond d'un pays vert où j'ai toujours vécu
Dans la chaleur numide et ronde des rébus
Où le muguet fleurit au bord de l'Alkékenge.
La fille en croix sur une ville
Comment vis-tu sans mes oiseaux
Et mes enfants de verte peau
Et sans mes ombres sauvagines?
La fille en croix sur ma prison
Si je t'avais donné raison
L'enfant du druide aurait chanté
Un autre lieu de la forêt.
L'eau le sang et le feu triangle de lumière
J'ai retrouvé les noms de la source première
Où l'ombre chassait l'ombre en abreuvant les loupe
Et j'éclate de rire avec les oiseaux fous.
Quand mon poignet respire avec un bruit de flamme
Je laisse aller ma main vers le secret des pluies
Pour abolir le jeu sanglant dont il gémit
Et regagner de peu cette saison de l'âme.
Mais l'épouse du vent se cache dans mon cœur
Voulant vivre de chair l'heure que je lui prête
Ah! vivre vivre vivre à bouche satisfaite
L'âge de la forêt qui traverse mon cœur.
31
Voici la lampe vénéneuse
Et la géographie du ciel
Voici la terre que je creuse
Et nous sombrons dans un soleil
Plus vert que le vert éternel.
Un astre végétal se lève
La fable germe dans mes yeux
Pourtant la colombe est mon rêve
Et le feuillage est pour nous deux.
Le bleu et le vert se mélangent
Aux frontières de nos bonheurs
La colombe me fait un ange
Et je lui prête ma ferveur.
Mais la troisième que je suis
La fille en croix sur son Paris
L'enfant du druide la maudit.
Patience il faudra bien qu'elle revienne au jour
Patience il faudra bien qu'elle prenne son tour
Parce qu'il y a l'eau et le sang et le feu
Et qu'il y a le vert et qu'il y a le bleu
Et parce que je crois au Merveilleux.
32
CHANT DE L'EAU
Chêne qui manges la terre
En buvant la paix du ciel
Comme ton ombre est légère
Sur mes lèvres sans sommeil
Ta fraîcheur abrite un monde
Qui mûrira bien un jour
Mais qu'il attende son tour.
C'est ici que l'eau fragile
Prend racine pour fleurir
Loin là-bas vers l'espérance
En un grand bleu tout exil
Attendu depuis l'enfance.
Visage éclatant du songe
Né d'une clairière en fleurs
Et du trop de ma ferveur
A l'auberge des rousseurs
Visage éclatant du songe
Emprunté par un enfant
Qui dit l'eau le feu le sang
De la source à l'océan
Ta bouche est une fontaine
Où la chute d'un oiseau
Où la traque d'un blaireau
Et le frisson d'une reine
Composent un feu nouveau.
Avec moi l'écume rousse
Qui bouillonne au fond des bois
Avec moi l'ombre et la mousse
Qu'on écrase entre les doigts
Avec moi la faune ardente
Et sa blessure éternelle
Avec moi le goût du miel
Qui s'écoule vers le ciel!
Enfant du druide mon frère
Dans la houle forestière
Où tu prends visage humain
Je partage ton chagrin
De savoir que tant de chênes
Ici ne croient plus à rien.
Forêt forêt belle histoire
Si je creuse ta mémoire
J'y découvre mon amour
Car c'est toujours lui qui gagne.
Les filles à la fontaine
Pleurent toujours un soldat
Qui s'en est allé là-bas
Manger la terre lointaine.
Le vent crache des cigales.
Ruiner les sources du sang
J'en appelle à mon étoile
Elle dit comme l'enfant
Ne pas compter les années
Revenir à l'eau sacrée
Il faut répandre son chant.
Je galope avec l'eau claire
Jusqu'aux limites du sang
J'envahis la chair entière
De la source à l'océan.
Dire simplement lumière
Et l'eau règne sur le temps.
CHANT DU SANG
Belle histoire de mon ombre
Qui soulève un clair ardent
Puisque les fontaines blondes
Font l'amour avec le temps
J'épouserais bien le monde
Si j'avais la clef du sang.
Rivière rouge du jour
Couleur de colombe fraîche
Tourne autour ah! tourne autour
De l'histoire que je cherche
Depuis qu'il fait sans amour.
La lampe des vierges sages
Veille encore au fond des bois
Mais quand le vent soufflera
Cavaliers croyez-vous pas?...
L'homme creux chante misère
Sous les marronniers éteints
Jamais plus fête première
Jamais plus l'herbe en satin
Jamais plus l'herbe à mourir
Premier baiser sur le ciel
Premier baiser sur la terre
Terre et ciel comme en avril
La merveille d'un exil
Où les larmes sont dorées
La première bien-aimée
Jamais plus comme en avril
Jamais plus l'herbe en satin
Toujours la seconde aimée
Sur la marche des matins.
L'homme creux chante misère
Retrouver l'herbe en satin
Sous l'aile d'un vieux jardin
Vierge folle vierge sage
Qui promène une lumière
A faire échec aux nuages
Vierge folle vierge sage
Couronnée d'oiseaux dormants
Qui sanglotent dans le vent.
Le vent crache des cigales.
Ruiner les sources du sang
J'en appelle à mon étoile
Elle dit comme l'enfant
Jure jure par le sang
Il faut vivre avec son chant
Par l'eau le feu et le sang.
Le vent crache des cigales
Changer le signe du sang
Je veux suivre la rafale
Et sombrer au fond du temps.
Une chute sur la mousse
Un galop de siècles fous
Une rabine très douce.
Un peu d'écume aux genoux.
Toute la lumière bouge
Que murmurait la forêt
Toute une rivière rouge
Pour dissoudre les muguets.
Dire baptiser la terre
Dire simplement lumière
Dire les bois sont bénis
Terre et ciel ô paradis!
Dans la forêt des colombes
Au sein des fontaines blondes
L'enfant du druide baptise
Les cavaliers repentants
Belle histoire de mon ombre
J'épouserais bien le monde
Si j'avais la clef du sang!
CHANT DU FEU
Qu'il règne et que tout repose
Au milieu de son anneau
Qu'il reproduise les roses
Qu'il épuise le ruisseau
Et qu'il dresse une couronne
A la fille monotone
Toute seule en son miroir!
Qu'il dévore le brouillard
Qu'il éclate dans le soir
Avec les bouches plénières
Des fous et des messagères.
Le feu monte adieu la terre
Bonjour la terre et le ciel
Le feu monte et la clairière
Fait un pacte avec le ciel.
Sous les feuilles à venir
Sur la rive d'un sourire
Dans l'haleine d'un chevreuil
Sous la ronce ou le tilleul
Sous l'aile d'un vieux jardin
Recouvrant l'herbe en satin
Sur la lèvre et dans la main.
Dans la sève et dans le fruit
Dans la source et dans le puits
Le feu dorlote son cri.
Qu'il habite la clairière
Qu'il éclate et que tout soit
Que le loup sorte du bois
Qu'on en finisse avec ça
Filles saluez le roi!
Très au large de l'automne
Un navire de feuillage
Embarque un oiseau blessé
Pour une île sans nuage
Clairière douce à la main
La clairière est une orange
Qui fume dans le matin
Que tout se livre en son fruit
Selon l'abeille et le cri.
Le feu raconte des choses
L'enfant du druide le sait
Le feu fait chanter les roses
Qu'il règne et que tout repose
Au milieu de son secret.
Qu'il règne et que tout soit blanc
Feu sur l'eau et sur le sang.
TERRE ET CIEL
I
u
I
L'UN
Petite brute forestière
Crucifiée sur un lit d'espoir
Tu te balances en ton brouillard
Tu resonges la main du vent
Et la langue de la rivière
Glissée sous tes robes d'enfants.
La blancheur est plus douloureuse
Que la blessure qu'on attend
Avec un cœur battant battant
Comme un visage d'amoureuse
Un visage battant des ailes
Toujours la même ritournelle
Des filles qui n'ont pas le temps
Le temps de vivre lentement.
Ah! faites-moi saigner pour l'amour de l'amour
Délivrez-moi du cri qui tourne dans sa cage
Délivrez-moi du rêve enfermé dans sa tour
Délivrez-moi du sang glacé des vierges sages
Qu'il bouge de sa nuit et passe dans le jour
Et fleuriront les pavots lourds
Sur le granit dur de la chambre
En pleine brume de novembre
Pour faire mine de toujours.
Dehors dedans haut vers la nuit très loin de tout
Le cœur de lui le cœur de moi le cœur de nous
Et le cœur de la mer et le cœur de l'horloge
Chacun selon son corps mais pour la même forge
Battaient brûlaient fallait-il se mettre à genoux
Un goût d'astre éclaté me prenait à la gorge.
45
Mais aux frontières du beau crime
C'est la peur du sang répandu
Les vieux remords qu'on avait tus
Gardent la porte de l'abîme.
Il disait Bilitis ton corps d'oiseau limpide
Ta chair de lait tes seins de faon
Sont des miroirs trop menaçants
Pour que je sombre dans le vide
Les yeux fermés le cœur tranchant
Comme un barbare au front dément.
Il disait Bilitis et s'écartait de moi
Et je me remettais à connaître le froid
Il disait Bilitis et s'écartait de moi
Je n'ai pu traverser ta vie
Ton enfance était trop jolie
Pour la briser entre mes doigts.
46
L'AUTRE
A force de crier vagabond vagabond
Ce fut lin le premier
L'homme aux cheveux brouillés
Qui traverse ma vie
Avec sa grande grimace de folie
Respirée par mes mains glissant contre son front.
D'étranges trains sifflaient dans son crâne de fauve
Et les vieux clowns d'argent qui nageaient dans son sang
S'en prenaient à mon cœur ouvert à tous battants
A vol doux et feutré
Pour ne pas m'effrayer.
Il me disait avoir tant de millions de fois
Jeté sa vie en l'air
Et par dessus les toits
Les deux jambes nouées sur un agneau de fer
Il me disait avoir jeté sa vie en l'air
Pour aller regarder dans les yeux les étoiles
Il disait que cela
Ne lui avait jamais fait mal.
L'homme savait comment s'endorment les cités
Le bras contre la joue et le ventre aux nuages
Le trottoir à l'amour la fenêtre aux voyages
Le kiosque aux anges doux
La cathédrale aux fous
La poche à la fortune
Et le crime à la lune.
L'homme savait comment se couvre la misère
Avec un corps battu et des cuisses d'airain
L'homme savait comment se mange le bon pain
Comment germe le feu sous le poids des paupières
Comment font les bateaux pour aimer les rivières
47
Comment rêvent les bêtes
Après les cavalcades
Comment saignent les fêtes
Aux paumes des nomades.
Il entendait la neige et savait le soleil
Il épuisait les fleurs et les abeilles
Il avait mesuré le souffle heureux des foules
Quand il le soutenait sur les marches du ciel.
Il avait épousé ses compagnons de jeux
Il avait fait danser Tours et les oiseaux bleus
Il avait renversé l'ombre des colombines
Mais il ne savait pas la saveur de Phermine.
Quand il m'a demandé à genoux dans la nuit
Le droit le droit d'aller tout au fond de mon cri
Pourquoi n'aurais- je pas dit oui?
Vrai j'ai voulu courir jusqu'au bout des chansons
Répétées par la fille aux quatre coins des ondes
Vrai j'ai voulu jouer le petit tour du monde
Avec un chasseur roux qui sentait la prison.
Il me donna de lui
Son nom et son pays
Un défendu pays lointain
Où filles et garçons s'éveillent le matin
Avec des croissants bleus tatoués sur les reins
Un pays qui jadis fut peut-être le mien
Il n'avait pas la voix de mon amour
Mais il avait le front de la plus haute tour.
J'ai crié sur la nuit
J'ai crié sur la vie
J'ai crié sur la nuit sur les cris sur la vie
Pendant que des muguets blanchissaient sur Paris.
Et dire que cela se fit
Ce jour limpide où sur Paris
Les forêts transhumées
Et cela par amour
Vendaient du bonheur blanc à chaque carrefour.
48
CONTE EN SEPT
La raison plus froide que la mort
Le plus beau monstre inventé par les hommes
Ah! je lui brûlerai la tête moi
Sept fois.
Cette fille naïve avait un cœur trop grand
Pour la portion de corps
Dont ses parents l'avaient dotée
Quand elle ouvrait la main
Quand elle ouvrait la bouche
Quand elle abandonnait son front
Quand elle aimait l'oiseau
Quand elle disait l'eau
Il débordait toujours de toute sa lumière
Il voulait battre et luire à ciel ouvert
Comme un baiser vivant
Il voulait connaître le vent
La caresse des buissons frais
La joue des lys contre la sienne
Le piquant de chaque saison
Parfois il ronronnait sur son épaule
Offerte nue à la peine penchée du saule.
Cette aveugle que j'aide à vivre
En lui racontant des fontaines
Où les bergers jettent leur cœur
En lui fabriquant des rengaines
Où le refrain tourne au bonheur
Cette fille ma sœur que j'aime mieux que moi
Laissez-la croire au fils du roi
Mis au monde par une hermine
Laissez-la donc jouer sa pantomime
Laissez-la croire à sa beauté
Cela ne fera pas de mal
A vos cités.
Sans miroir
La plus laide est toujours jolie
Un espoir
La plus pauvre est enfin ravie
Cœur sur la main cœur sur les lèvres
Cœur en plein jour cœur en plein rêve
Sept centimètres de soie rouge à dépasser
Aux limites de tous manteaux.
Richesse à toi fille des brumes
Si tu veux parader au cirque
Avec les blancs chasseurs de lune
Des gros sous tout ronds en image
Si tu fais bien rire les sages.
Ne riez pas de moi méchants
Ou je fais feu sur le fond grimaçant
Que vous avez coulé
Dans le regard de vos enfants.
La fête est au village
On me montre du doigt
La mort est aux visages
Je grimpe sur le toit
Je sors de dessous mes paupières
Je fais montre de ma lumière.
Une carte un soleil un amour et ma chance
Je suis reine et j'ai gagné d'avance
Premier coup as de cœur un grain de feu
J'abats la carte révélée par la gitane
Pour deux et trois je jette le mois d'août
Avec son blé brûlant
Et puis je crache un lion
Sa crinière toute allumée
Gagné je vois le signe de fumée
Quatre pour rien Cinq mon amour
Six je lance mon corps sa chaleur
Puisque c'est son tour
Sept c'est le dernier coup le nombre sort du rang
50
Il tombe tombe avec son feu fervent
Brûlé le mort est mort
Qui vivait depuis sept cents ans
Des yeux candides lèvent dans la cendre
Comme des roses de décembre.
J'ai gagné j'ai brûlé la sève des savants
Tous mes sujets vont vivre avec un cœur trop grand.
51
DE MA VIE.
De ma vie je n'ai jamais vu
Plus beau visage que sa voix
Ses yeux portent Pâme des eaux
Blessés à mort depuis des siècles
Par le silence des grands bois
Son front descend de la lumière
Comme FÉgypte du mystère
Et sa bouche a juste le poids
Le poids terrible du bonheur
Que pouvait supporter mon cœur.
S'il avait fait glisser sa voix
Dans les yeux graves de mes paumes
Nous aurions vu ce vieux royaume
Que l'amour épèle tout bas.
C'est ici qu'il faut parler d'elle
La maison des oiseaux parfaits
La merveille où toutes les ailes
Peuvent s'ouvrir sur leur secret.
J'entends sonner la cloche rouge
De ce rouge extraordinaire
Dont l'ombre saigne sur la terre
La cloche à marier les dieux
Le fruit qu'on mange avec les yeux
Il n'y a pas d'amour heureux.
De ma vie je n'ai jamais vu
Plus beau visage que sa voix
Plus beau visage mis à nu
Par le silence de mes doigts.
ANAËL
A Annette Valet.
Anne dis ma sœur Anne
Ne vois-tu rien venir
Faudra-t-il donc toujours écraser mes soupirs
Entre mes dents glacées qui mordent les fruits d'or
Arrachés au sommeil arrachés à la mort
Arrachés aux enfants qui donnent sur le songe
Arrachés aux pommiers que la lumière ronge.
Je t'ai donné la clé pour ouvrir les oiseaux
Je t'ai donné la clé c'est bien plus qu'il n'en faut
Pour aller me chercher la pierre du trésor
Que le roi sans couronne a cachée dans son corps
A cachée dans son ventre
Ah! le cheval sans mors
Paissant la sève ardente
Qui donne au sang couleur et forme d'amarante.
Un même ange demeure en ton nom et le mien
Ses ailes devenues et tes bras et les miens
Il nous aide à porter le petit quotidien
Anaël Anaël et sa peau de satin
Caresse nos cheveux endormis dans ses mains
Anaël Anaël Anaël et plus rien.
Anne dis ma sœur Anne
Ne vois-tu rien venir
Les oiseaux les oiseaux volent vers le plaisir
J'appelle un homme blanc peuplé de grands voyages
Une croix sur l'épaule un amour au visage
Un homme à tête d'homme un homme à tête d'ange
Qui connaîtrait la loi sublime des mélanges.
Anne dis ma sœur Anne
Ne vois-tu rien venir
Je ne veux pas je ne veux pas je ne veux pas mourir.
53
s
PARTIR
Quitter les roseaux pour les orangers
La foire aux amis pour un étranger
Quitter la forêt pour la plaine
Quitter la chanson pour la peine
Quitter le raisin pour la pomme
Quitter le galop pour la somme
Quitter la mer pour la rivière
Quitter l'œillet pour la bruyère
Et la rose pour la fougère
Oublier le pain sur la table
Retrouver sa joue sur le sable
Quitter la mare aux souvenirs
Se quitter pour se revenir.
Changer de peau changer de rêve
Pour que l'œuvre d'âme s'achève.
La fille devenue l'aile la plus légère
Se cherche dans le sens des houles printanières
Puis sombre dans la neige avant d'avoir vécu
Le trop des orangers que les autres ont bu.
Là-bas, c'est le meilleur ici les fleurs quand même
Rien n'est perdu quand l'amour sème.
Vous baisers suicidés vous n'empêcherez pas
Que le cœur des enfants fleurisse sous vos pas.
Fille! monte et descends du nuage à la pierre
Comme il fait bon mourir pour vivre sa prière!
Quitter le soleil pour la neige
Et la neige pour le soleil.
Trouver le monde au bout du monde
Où le château des vagabondes
Demeure fondé sur le ciel
Un peu plus haut que le soleil.
DANS MA MAIN
Dans ma main les saisons
La couleur du soleil la couleur de la neige
Les yeux fermés
Quel beau spectacle à caresser
Jamais plus les yeux dans les yeux
Mais le plaisir de la main reine
A la mesure de sa chair.
Qu'elle aille son chemin tout autour de la terre
Le corps suivra
Ce chien fidèle à qui voudra
Le corps suivra
Bouche ouverte et membres en croix.
Le paysage ailé que je saisis au vol
Se mire dans ma paume et voile ma misère
Se jette dans mon sang la tête la première
Bel oiseau végétal planant au ras du sol
Bel oiseau feras-tu ma peine plus légère.
Je prends part au printemps à l'automne à l'hiver
Je prends part à l'été main posée sur le monde
Je bénis et je prends et ma fièvre féconde
Se mêle au vin puissant qui couve dans le vert.
Dans ma main le doux col du saule
Car c'est l'arbre que j'ai conquis
Dans ma main le plomb de midi
Et « chien et loup » mon heur y rôde
Plus longtemps que Dieu ne l'a dit
Dans ma main l'ombre s'épaissit
La chair comprend que le temps fuit
Au poids du jour et de la nuit.
Apprivoisons ma main le trouble de la brume
Puisqu'il habille tous mes fruits
Apprivoisons ma main le double de la lune
Tant qu'il sommeille au fond du puits.
La main la main qui sait se tendre
Est un cadran de pierre tendre
J'y lis les saisons et les jours
Les heures tout cela qui court
Mais c'est la pâte du toujours.
Cueillir bâtir la même histoire
Le beau château de la mémoire
Les yeux fermés je l'ai construit
Pour qu'on y loge mes amis.
56
SOLEIL
On avait oublié le soleil
Sa langue d'or
Sa langue vive
Il fallut la rapprendre
Comme à marcher après des mois de lit
On avait oublié le signe de son cri.
Or je reçus la langue du grand roi
Juste au moment qu'il me chanta ;
« Dieu quelle absence au pays d'où je viens
On n'y épouse pas le blé
Ni l'abandon des foins coupés
Ni la rondeur des fruits
Ni la gorge des puits
Ni le cœur des amantes
Ni la douceur ni la tourmente
Non plus le vent à tête d'homme
Qui sépare et rassemble
Non plus le jeu d'ailes du tremble
Non plus le lac après la lune
Non plus la rose de chacune
Offerte sur la plage
Non plus la peine et la joie des visages
Je te le dis car nous nous aimons bien
Je te le dis mais ne crains rien
Quand il sera venu pour toi
Le temps de l'autre vie
Je te reprendrai à mon compte
Ma chérie
Avec le double de la terre et sa fraîcheur
Entre mes bras
Et tu vivras
N'aie pas peur
Tu vivras. »
ê
PLUIE
Là contre ma maison
Tous les oiseaux qui m'ont connue depuis l'enfance
Gémissent lentement comme un seul désespoir
C'est la complainte des brouillards
Le jardin qui dansait autour de mes murailles
S'est allongé dans l'ombre avec sa peine grasse
Et cet épais regret des beaux soleils stridents
Qui pénétraient nos terres de vacances.
Il ne fait plus du tout de cœur
Il ne fait plus du tout de fleur
Même la rose du silence
Est dépouillée de ses couleurs.
La pluie ne permet plus que les lampes respirent
Et des gestes d'adieux jaillissent de partout
Et les enfants n'entendent plus les fous
Qui parlaient bouche close et c'est cela le pire.
Mais moi je rongerai cette eau longue du ciel
Jusqu'à sa racine dernière
Vrai, mon jardin en reviendra.
Et dans quelque secrète allée
Ah! le soleil me couvrira
Comme un roi, comme un roi,
Comme un roi généreux sa biche préférée.
58
TREMBLE
L'arbre que j'aime est contre moi
Il me permet tous les baisers
Que je n'ai jamais pu donner
Aux hommes venus dans mes bras.
Nous avons dû dormir ensemble
Mon âme et l'âme de ce tremble
Si loin si loin qu'il ne sait plus
Le grand amour qu'il avait eu.
Seule j'ai quelque souvenance
De la singulière romance.
Mon Dieu faites qu'il se rappelle
Faites sa mémoire fidèle!
Mais le vent souffle et l'arbre bouge
Et sa voix passe dans mon sang
Elle a la forme du printemps
Et sa couleur est la lumière
Et sa caresse est la rivière.
Présence humide de l'amour
Chapelle ardente des toujours
Souvenir clair comme le jour
Fleuri sur la terre promise
Grâce au manège de la brise.
La pulpe de ma joue et l'ombre de mes yeux
Et cet espèce de cœur fabuleux
Qui palpite au fond de mon sexe
Glissent vers une autre planète
Quand ils se prennent à songer
A cette saison sans péché
Dont avaient parlé les prophètes
A ce destin de l'arbre à feu
Où le miracle de son corps
Glorieux
Osera bruire à la droite
De Dieu.
59
ELLE
Elle avait un chat noir un cheval un bon chien
Elle allumait son feu elle cuisait son pain
Elle allait à l'église aussi tous les matins
Elle avait le roi même à portée de sa main
Elle avait un verger qui donnait tous les fruits
Elle faisait son bien du jour et de la nuit
Ses semaines avaient toujours quatre jeudis
Et les gens très bien renseignés
Aimaient beaucoup à raconter
Qu'elle était la plus belle forme de l'amour.
Mais pourtant je le sais
Elle aurait tout donné
Pour partir de l'autre côté.
60
LUI
Il se passait de chat de cheval et de chien
Il se passait de feu il se passait de pain
Il se passait de fleurs il se passait de fruits
Il se passait de jour il se passait de nuit
Il se passait de rire il se passait de larme
Il se passait d'église il se passait de femme
Mais les gens très bien renseignés
Aimaient beaucoup à raconter
Qu'il ne se passait pas
De ce silence là
Permis aux dieux logeant au front des tours
Et pourtant je ne sais
S'il l'aurait échangé
Contre un seul trèfle à quatre feuilles
Ou contre un seul brin de muguet.
POÈME
Femme dans les douleurs
Femme habitée d'un dieu
Pose ton pied sur cette pierre
Désertée par le plus grand feu
Pose ton pied la belle amante
A la lisière du granit
Pose ton pied la seule amante
Pose ton pied de chair ardente
Son poids léger cela suffit.
Femme celui que tu demandes
Peut bien s'échapper Dieu merci
Par un petit trou de souris.
Alors le désespoir s'est levé de sa tombe
Pour aller chasser la colombe
Et qu'il laisse à l'argile ses eaux et ses cheveux
Son ventre de velours aussi ses cuisses roses
Il n'a pas besoin de ces choses
Qu'il ne reprenne que ses yeux
Quel beau fusil d'argent
A tuer les amants.
Prenez garde à vous les chaumières
Éteignez toutes vos lumières
Éteignez toutes vos prières
Leur fumée ferait signe aux yeux
Qui sortent de dessous la pierre
Bouchez bouchez vos cheminées
Et ramassez vos souliers d'or
Il est ressuscité des morts
Bouchez bouchez vos cheminées
Car même si ce n'est décembre
Le désespoir pourrait descendre
Le désespoir aux yeux tout nus
Par où descend l'Enfant- Jésus.
L'Étoile avait les yeux si grands
Qu'elle a bu ceux du revenant
Et son souvenir s'est pendu
Au cou du premier if venu.
Il n'y a pas de jamais plus!
UNE CHAUMIÈRE ET UN CŒUR
Elle sera fondée sur terre de bruyère
Nécessaire au lever des délicates fleurs
Une rose de feu parfumera son cœur
Ses murs tiendront de l'arbre et de son rossignol
Retrouvant dans la nuit le feuillage et le vol
Elle ouvrira sa porte aux marchands de lumière
Dont les pas auront fait tout le tour de la terre
Elle épousera l'ombre avec ce geste lent
Des siècles pour le roc des années pour l'enfant
Elle demeurera aux confins des baisers
Que colombes péries n'ont pas pu se donner
Et son toit hélera d'une fumée timide
Le sang de cette étoile offerte comme guide
Aux voyageurs perdus dans leurs marches secrètes
Qui se mettent au monde avec un cri de fête
A chaque carrefour
Où s'ouvre un puits d'amour.
64
CET ENFANT
Cet enfant de là-haut ce bel enfant très sage
Oh! pas comme une image
Cet enfant qui dormait dans l'Étoile des Mages
Cet enfant qui pleuvait dans toute pluie d'orage
Cet enfant qui brûlait dans les soleils ardents
Et soufflait dans les quatre vents
Cet enfant qui saignait dans les terres blessées
Cet enfant qui riait dans les moissons coupées
Cet enfant qui naissait par de beaux clairs de lune
Cet enfant qui mourait sur le sable des dunes
Comme la vague et son écume
Et renaissait des mers sur un seul mot d'amour.
Vrai de tant d'hommes en tant de femmes
Cet enfant tant de fois conçu
N'a jamais été reconnu.
65
JE SUIS NEE DE LA MER
Je suis née de la mer et ne le savais plus
Trop de pavots avaient maculé mes pieds nus
Les soirs où les bergers m'appelaient dans la ronde
Pour passer le furet de ma main dans leurs mains
Furet des bois jolis furet des vieux jardins.
Je suis née de la mer et ne le savais plus
Trop de chaînes avaient appris à mon corps nu
Cette haute caresse où l'écorce connaît
La façon d'arracher aux jeunes filles blondes
Des gouttes de bonheur de quelque sainte plaie.
Je suis née de la mer et ne le savais plus
Trop de bêtes avaient partagé mon cœur nu
Dans les hautes futaies habitées par la lune
Trop de sangliers forts à renifler l'oronge
Trop de biches les sœurs effrayées par leurs songes
Trop de martins-pêcheurs gonflés d'humides chants
Délivrés par leurs becs en baisers trop savants.
Je suis née de la mer et ne le savais plus
Mais l'homme au bras marin me parla de l'écume
Et l'humus des forêts fut le sable des dunes
Et les bergers laissant leurs troupeaux de moutons
Au premier loup venu gardèrent des poissons
Le nez du sanglier fouilla le goémon
La biche apprivoisa chaque lame de fond
Et les désirs des fûts chantèrent un navire
Que les oiseaux pécheurs voilèrent sans rien dire
De leurs ailes tendues à des ciels inconnus.
Je suis née de la mer et ne l'ai reconnu
Qu'au bras de mon amour et ne l'oublierai plus.
66
ARC-EN-CIEL
Entre la pluie et le soleil
L'aveugle touche Parc-en-ciei
L'aime le respire et l'écoute
Sans s'étonner que sur sa route
Un bras ami des yeux du cœur
Ait envoyé les sept couleurs.
Je dis Violet quand les statues
Rêvent de Pâques revenues
L'Indigo sur ma langue passe
Quand je la passe à l'eau de grâce
Où la boule miraculeuse
Fût plongée par quelle laveuse?
Je dis Bleu quand les hirondelles
Reconnues au bruit de leurs ailes
Rentrent au nid de ma tourelle.
Je dis Vert quand un vent de feu
M'incline du côté de Dieu
Et Jaune quand les chanterelles
Chantent dans ma forêt fidèle
Mieux que noir parfum des airelles
Et je ne murmure Orangé
Que tête coiffée du clocher
De mon église sans péché
Sous l'arceau des arbres sacrés.
Mais je dis Rouge quand ta voix
Couvre mon cœur de son velours
Comme effeuillement de dahlias
Qui vraiment n'en finirait pas
Je dis Rouge quand ton amour
Se met à traverser ma nuit
Selon ce mouvement bénit
Du flot vers la plage allongée
Se met à chavirer mon lit
De ses vagues illimitées
Plus hautes que raz de marée
Plus larges que largeur des mers additionnées
Et plus profondes que sanglots des chairs noyées.
68
TU ES ROUGE
Tu es rouge
Et tu ne le sais pas
Pourtant ton sang répond toujours à haute voix
Quand mes caresses le questionnent
Et je lis sur ton front
La couleur de ton nom
Qui n'était visible à personne.
Je t'ai déjà connu lorsque j'avais des yeux
Dans l'amour des pavots sauvages
Qui palpitaient de tous leurs feux
Entre mes cils de vierge sage :
« Gentils coquelicots, mesdames,
Gentils coquelicots nouveaux »
Mais prenez garde à la flamme!
Je t'ai déjà connu lorsque j'avais des yeux,
Et ce sanglot que tu me fais
C'était bien sûr, c'était le même
Les soirs au bout de la semaine
Qui faisaient mes cuisses de laine
Quand la servante sacrifiait
Sur la table de la cuisine
Les deux pigeons dominicaux
Par-dessus les lauriers coupés
Où sont les fièvres enfantines.
Le chat criait mort aux oiseaux.
Il me pesait sur la tête
Tout le poids de la planète
Et je perdais mes genoux
Dans une course inconnue
Des beaux garçons de chez nous.
6
69
Tu es rouge et je le savais,
Sur les lèvres des filles blanches
Que je demandais le dimanche
Pour jouer du phono dans le ton de mon cœur
En dansant sur l'école où pâlissaient mes sœurs.
Je t'ai déjà connu lorsque j'avais des yeux
Dans l'horizon blessé par les soleils d'adieux
Et je demeurais sur la terre
Une peine ronde au bord des paupières.
J'interroge aujourd'hui la mémoire du monde
Pour savoir en quel siècle et contre quel là-bas
Nos corps se sont unis pour la première fois.
70
ABEILLE DE MIDI
Abeille de midi
Dieu ne t'avait permis
Que la fleur et le fruit
Que les ronrons dans la rabine
Que le plaisir dans l'aubépine
Où les enfants du soir se blessaient les genoux
Et crachaient sur la braise
Avant d'aller rêver au bras des. anges doux
De vacances de glaise
Dociles à leurs mains
Qui parlaient de châteaux dont les clés en airain
Se déclinaient sans mal avec des mots latins
Rosa la rose à s'ouvrir sur tous les chemins.
Tu ne devais filer que miel
En passant par les voies du ciel
Du blé noir à la table ronde
Pour les lèvres des têtes blondes.
Petite abeille de midi
Quel doigt levé dans quel pays
Quel ordre a fait que tu choisis
La pierre close sur sa nuit
Son cœur ne connait la rosée
Ni les mouvements du soleil
Ni la salive parfumée
Des sangliers à leur réveil.
Comment vouloir creuser la pierre
De ton aiguillon si léger
Qu'un souffle de fée briserait
C'est un bien long voyage à faire.
Quels jeux pratiquer pour que s'ouvre
La chair durcie de cette louve.
L'eau ne sait pas le vent non plus
Le feu même n'a jamais su.
Que de baisers et que de tours
A inventer par ton velours
A inventer par ton amour
Avant d'arracher au cœur du granit
Ce rien de miel roux qu'il n'a pas promis.
Pierre debout devant le sable
Face à la mer et face au ciel
Dieu n'aimerait-il qu'à sa table
On lui serve ce rien de miel
Caché par lui dans ton calice
Avec la sève pour complice
Lorsque la pierre était en fleur
A la saison des rois de cœur?
Patience petite abeille
Il faut découvrir la merveille
Et porter cette goutte d'or
De l'autre côté de la mort
Que Dieu l'ajoute à son trésor.
72
CHAMBRE NOIRE
Or donc ils recouvrèrent usage de parole
Osant rêver tout haut
Maintenant qu'ils étaient certains
Que mon regard ne pouvait plus les faire rougir
Dans cette chambre noire
Chacun développa son chant
Et le miroir soutint
D'un clapotis sans fin
Qu'il avait dérobé son âme aux eaux du lac
Le vase de cristal
Éclata d'un rire d'enfant
Sous la caresse d'un pétale
De rose chancelant
Et le tiroir de la crédence
Qui dormait toujours bouche ouverte
Se mit à raconter le secret de ses lettres
Avec entière confiance.
Moi je leur répondis d'un geste de la main
Que je recommençai cent fois jusqu'au matin
73
S'ILS VENAIENT.
S'ils venaient du bout du monde
Avec leurs petits couteaux
Dont la pointe est sans défaut
Pour tuer mes yeux nouveaux
Gonflés de fièvre féconde
Pour voler mon regard fou
Qui se faufile partout
Sous les portes des prisons
Où les hommes se refont
Une misère dorée
Dans les veines des chansons
Où Penfant prend l'horizon
Pour un village de fée.
S'ils voulaient rendre la vie
A mes prunelles guéries
Des formes sempiternelles
Qui masquent le goût du ciel
S'ils m'arrachaient ce regard
Qui n'a jamais peur du noir
Et comme un poisson dans l'eau
Entre ma peau et mes os
Nage heureux de paysages
Rebâtis à son image
Au fond de son beau miroir
Je lâcherais mes bons chiens
Sur leurs gueules d'assassins
Et m'endormirais tranquille
Aux plis de ma belle ville
Où les filles ont le droit
De fleurir sur tous les toits
Et les lilas le devoir
De marcher sur le trottoir
Et les autres le bonheur
De se peindre à la couleur
De leurs voix et de leurs cœurs.
Mais si depuis leurs rivages
Ils essayaient du chantage
Faisant tourner ton image
A la pointe de leurs fers
Mon Dieu que faudrait-il faire?
J'aurais peur de ton visage
Car s'il ne répondait pas
Aux méandres de ta voix
Dieu que ferais-je de moi?
Ma ville est bâtie sur l'eau
C'est un très joli bateau
Qui promène ses fenêtres
Tout autour d'une planète
Où les choses ont des yeux
Qui me baisent sur le front
De leur ombre et de leur feu
Selon l'heure ou la saison
Où les bêtes qui me voient
Ne sont jamais à l'étroit
Dans un moule trop petit
Elles ont des corps construits
A la taille de leurs cris.
Les fenêtres de ma ville
Sont surveillées par des chiens
Aussi longs qu'un jour sans pain
Elles donnent sur des chats
Labyrinthes de velours
Qui s'étirent du trépas
Jusqu'à la porte du jour
Elles frémissent souvent
Au galop trop exaltant
De chevaux ni noirs ni blancs
Aussi vastes que le vent.
S'ils voulaient passer la mer
Portant leurs lames de fer
Pour envoyer par le fond
Mon navire et ses maisons
Je brûlerais l'océan
Avec mes yeux du dedans
Et m'endormirais tranquille
Aux plis de ma belle ville.
CHANSONS
★
FONTAINE
J'ai jeté mon cœur dans une fontaine
Mais l'oiseau me dit qu'il n'en est pas mort
Peut-être qu'il dort peut-être qu'il dort
Peut-être qu'il dort sa profonde peine.
Qui réveillera mon doux cœur noyé?
Et l'oiseau répond : le cri de l'été.
J'ai jeté mon sang dans une fontaine
Mais le vent me dit qu'il est rouge encor
Peut-être qu'il dort peut-être qu'il dort
Peut-être qu'il dort son histoire humaine.
Qui réchauffera mon sang tout glacé?
Et le vent répond : ça c'est un secret.
Les filles à la fontaine
Pleurent toujours un soldat
Qui s'en est allé là-bas
Manger la terre lointaine.
J'ai jeté ma vie dans une fontaine
Mais un gars me dit qu'elle bouge encor
Viendra la Saint-Jean et debout les morts!
Ah! si vous vouliez maintenant ma reine...
Mieux que le soleil un gars sait crier.
Adieu mon soldat qui s'en est allé
Je n'attendrai pas que vienne l'été
Pour vous oublier.
LE FOU DU VILLAGE
Il a le front clair
Et le cœur à nu
Il a les yeux verts
Des enfants perdus
Il m'attend là-bas
Sous un pommier doux
Les hommes de loi
Disent qu'il est fou.
Tous les Messieurs bien crachent sur son ombre
Quand il se promène au bras de l'amour
D'un amour sans poids sans voix sans atours
D'un amour volé au sein d'une tour
D'une tour du monde.
Il chante à la lune
Un air d'oiseau bleu
Chacun sa chacune
Il faut être heureux
Il aura mon corps
Quand il le voudra
Il aura mon âme
Au temps des lilas.
Tous les Messieurs bien crachent sur son ombre
Quand il se promène au bras de l'amour
D'un amour sans poids sans voix sans atours
D'un amour volé au sein d'une tour
D'une tour du monde.
Pas de mariage
Avec les maudits
Le fou du village
Est mort cette nuit
Et les vierges sages
Ont prié pour lui.
Moi j'ai son image
Au pied de mon lit.
LE CHEVALIER DE PARIS
Le grand chevalier du cœur de Paris
Se rappelait plus du goût des prairies
Il faisait la guerre avec ses amis
Dedans la fumée dedans les métros
Dessus les pavés dedans les bistrots
Il ne savait pas qu'il en était saoûl
Il ne savait pas qu'il dormait debout
Paris le tenait par la peau du cou.
Ah! les pommiers doux
Ronde et ritournelle
J'ai pas peur des loups
Chantonnait la belle
Ils sont pas méchants
Avec les enfants
Qu'ont le cœur fidèle
. Et les genoux blancs.
Sous un pommier doux il l'a retrouvée
Croisant le soleil avec la rosée
Vive les chansons pour les bien-aimées
Je me souviens d'elle au sang de velours
Elle avait des mains qui parlaient d'amour
Et tressaient l'argile avec les nuages
Et pressaient le vent contre son visage
Pour en exprimer l'huile des voyages.
Ah! les pommiers doux
Ronde et ritournelle
J'ai pas peur des loups
Chantonnait la belle
Ils sont pas méchants
Avec les enfants
Qu'ont le cœur fidèle
Et les genoux blancs.
Adieu mon Paris dit le chevalier
J'ai dormi cent ans debout sans manger
Les pommes d'argent de mes doux pommiers
Alors le village a crié si fort
Que toutes les filles ont couru dehors
Mais le chevalier n'a salué qu'elle
Au sang de velours au cœur tant fidèle
Chevalier fera la guerre en dentelle.
7
85
VENT PRINTEMPS
Celles qu'on éteignait celles au blanc promises
Celles qu'on habillait de silence et de froid
Celles qui ronronnaient des leçons bien apprises
Cœur battant cils baissés mais qui n'y croyaient pas.
Celles qu'on enfermait dans des chapelles grises
Celles qu'on emmurait dans les plus hautes tours
Celles qui n'attendaient qu'un signe de la brise
Ont cassé leurs carreaux pour passer dans l'amour.
Nous t'embrasserons trois fois sur la bouche
Chevalier printemps pas très comme il faut.
Est-ce défendu que les vierges couchent
Avec un amour couronné d'oiseaux?
Et tant pis s'ils sont vrais ces vieux dits de nos mères
Que le vent du printemps fit les quatre cents coups
Dans les bois dans les prés sur les bords des rivières
Ça alors si vous saviez comme on s'en fout!
86
JAMAIS PLUS
Sa voix d'ange épousait mon cœur,
Elle chantait sur ma douleur
Comme un beau soleil sur la neige
Et je croyais aux sortilèges
Qu'il inventait pour mon bonheur.
Il disait simplement : « Bonjour, comment vas-tu? »
Avec un charme étrange et gonflé d'inconnu
Je l'ai pris pour un ange il s'en est aperçu
Et son cœur s'est penché du côté de la rue.
Il est parti avec sa voix
Avec sa bouche avec ses bras
Et moi j'habite un grand silence
Où se promène son absence
Absence qui n'en finit pas.
Il disait simplement : « Bonjour, comment vas-tu ? »
Avec un charme étrange et gonflé d'inconnu
Je l'ai pris pour un ange il s'en est aperçu
Il a dit simplement : « Bonsoir — et jamais plus
Jamais plus! »
87
CHANSONS POUR PIERRE
Je me souviens que sur mes terres
Vivait le double du soleil
Il m'épousait sur la bruyère
Il me creusait de sa lumière
Et m'apprenait le goût du ciel
Comme berger à sa bergère
Entre la ronde et le sommeil.
Toutes les filles ont un miroir
Pour apprivoiser leurs songes
Mais faut pas cueillir l'oronge
Sous les ailes des bois noirs.
Je me souviens que sur mes terres
Vivait le cœur d'un garçon blanc
Il me chantait sur la bruyère :
« Sous les arceaux de la prière
Tu seras mienne à la Saint Jean
Je te ferai la prisonnière
Du visage de notre enfant. »
Toutes les filles ont un miroir
Pour apprivoiser leurs songes
Mais faut pas cueillir l'oronge
Sous les ailes des bois noirs
Je me souviens que sur mes terres
Passaient les chevaliers de nuit
Leurs pas écrasaient la bruyère
Ils confondaient joie et misère
Leur amour n'était pas permis
Le plus grand fit sa croix légère
Pour que je m'en aille avec lui.
Toutes les filles ont un miroir
Pour apprivoiser leurs songes
Mais faut pas cueillir l'oronge
Sous les ailes des bois noirs.
J'ai appris bien des chansons
Sur les genoux de grand'mère
Et toujours le même nom
Un nom qui s'en va-t-en guerre
Un nom qui s'appelle Pierre
S'y promenait à mi-voix
Vive l'ombre et le lilas.
★
Toutes les filles ont un miroir
Pour apprivoiser leurs songes
Mais faut pas cueillir l'oronge
Sous les ailes des bois noirs.
Donnez-moi la clef du feu
Que je passe au cœur du monde
Et que je gagne le lieu
Des fêtes les plus profondes.
Une fille se promène
Au bord du feu et du sang
Rouge est l'eau de la fontaine
Où l'ombre de son amant
Lui fait signe d'espérance
En habitant son silence
De gestes lents à mourir
Comme aronde à revenir
Au yieux nid de son enfance.
Donnez-moi la clef du feu
Que je passe au cœur du monde
Et que je gagne le heu
Des fêtes les plus profondes.
*
Son nom demeurait dans les chansons douces
Que je dépliai sous les dômes roux
De mes bois jolis la fièvre aux genoux
Les membres en croix pressés sur la mousse.
J'ai un long voyage à faire
Beaux oiseaux du paradis
Comme on a de la misère
Rendez-moi mon ami Pierre
Celui qu'est parti-t-en guerre
Sur les marches de Paris.
Pierre, ton nom dur habitait ma bouche
Ma langue tournait tout autour de lui
Ma langue saignait sur mon grain farouche
Mais je ne pouvais demander merci.
J'ai un long voyage à faire
Beaux oiseaux du paradis
Comme on a de la misère
Rendez-moi mon ami Pierre
Celui qu'est parti-t-en guerre
Sur les marches de Paris.
J'ai vécu cent fois pour l'eau pour le vent
Pour la chair des fruits pour le chant béni
Des bergers du soir
Et pour le velours du chat dans mon lit.
J'ai un long voyage à faire
Beaux oiseaux du paradis
Comme on a de la misère
Rendez-moi mon ami Pierre
Celui qu'est parti-t-en guerre
Sur les marches de Paris.
★
Quand tu viendras dans ma maison
La servante sur le perron
Rangera les roses trémières
Chargées de toutes ses prières
Et son cœur la précédera
Pour te conduire dans mes bras.
Que j'aime Paris
Son livre d'images
Que j'aime minuit
Quand je suis pas sage
Qui pleure au village
Pendant que je ris.
Quand tu viendras dans ma maison
La servante dira ton nom
J'oublierai toutes mes attentes
La Demoiselle et sa tourmente
Nous dormirons dans un grand lit
Sous les secrets qu'on n'a pas dits.
Que j'aime Paris
Son livre d'images
Que j'aime minuit
Quand je suis pas sage
Qui pleure au village
Pendant que je ris.
★
Les oiseaux bleus reviendront
Cerner de joie ma maison
Vole, vole tout en rond
Avecque les hirondelles
Pour nicher dans ma tourelle
Vole vole mes chansons.
Adieu mes amis! Adieu mes rosiers!
Je crois qu'il est temps de vous en aller
Mon visage tourne autour d'un visage
Qui mettra le feu à tout mon village.
La fontaine avait menti
L'homme n'était pas parti
L'homme n'était pas maudit
Se lève ma bonne étoile
Chevalier de ronde table
Nous commençons aujourd'hui.
J'ai ta main contre ma main
Ton chemin dans mon chemin
Comme tu m'aimes demain
Que sonne la cloche rouge
Que le ciel la terre bougent
Personne n'aura plus faim.
Seigneur merci pour mon enfance
Seigneur merci pour mes souffrances
Seigneur merci pour l'espérance
Et pour m'avoir ouvert en m'habillant d'un corps
Cette porte qui donne sur votre mine d'or
Ma tête ne sait plus le nom de mon amour
Est-ce l'autre? Est-ce lui?
Votre main l'a choisi.
Les yeux clos je m'incline ô Dieu devant ta loi
Sans chercher à connaître au signe de la voix
Quel est le compagnon qui me presse le bras.
LA FILLE AVEUGLE
La fil!' qu'avait perdu ses yeux
Traînait son cœur traînait sa peine
Sous le grand soleil du bon Dieu
Elle avait plus figure humaine
Ça faisait fuir les amoureux
Et comment voulez-vous qu'on aime
Une filP qu'a perdu les yeux ?
Écoutez moi les beaux garçons
Vraiment c'est pas une raison
Parce qu'on a les yeux blessés
Pour qu'on n'ait pas besoin d'aimer.
Un gars qu'y voyait bien pour deux
S'est penché sur la fille en peine
Elle lui a caressé les ch'veux
Et lui a dit si tu m'emmènes
Tu connaîtras mon secret bleu
Cette lumière si lointaine
Qui dort tout au fond de mes yeux.
Écoutez moi les beaux garçons
Vraiment c'est pas une raison
Parce qu'on a les yeux blessés
Pour qu'on n'ait pas besoin d'aimer.
Elle a r'gardé son amoureux
Avec ses mains avec sa peine
Avec sa bouche avec le feu
Qui coulait coulait dans ses veines
Alors lui en fermant les yeux
A crié fort : « Sûr que je t'aime
Et que je vois ton secret bleu. »
Écoutez-moi les beaux garçons
Vraiment c'est pas une raison
Parce qu'on a les yeux blessés
Pour qu'on n'ait pas besoin d'aimer.
Elle a rendu le gars heureux
Le gars qu'avait tué sa peine
Ils ont joué les amoureux
Pendant plus de trent' six semaines
Et puis Us ont pleuré sur eux
Ah! comment voulez-vous qu'on s'aime
Sans se regarder dans les yeux?
TABLE DES MATIÈRES
Préface 5
GUÉRIR
Guérir tî
L'Enfant Bleu I3
Pierre I4
Pour un Poète ^
D'abord des cris t0 Z£
Délivrance jg
*«* .....;";*.;;."*." 20
Jardin... 22
Août 23
SUITE FORESTIÈRE
L'Enfant du Druide 29
Si je plante , j0
La Fille en Trois 3I
Chant de l'Eau 33
Chant du Sang 35
Chant du Feu 3 g
TERRE ET CIEL
L'Un 45
L'Autre 4^
Conte en Sept 49
De ma vie ^2
Anaël ^3
Partir 54
Dans ma main ^$
Soleil
Pluie 58
Tremble $g
Elle 6o
L^ 61
Poème 62
Une Chaumière et un Cœur 64
Cet enfant 65
Je suis née de la mer 66
Arc-en-ciel 67
Tu es rouge 69
Abeille de Midi 71
Chambre noire 73
S'ils venaient 74
CHANSONS
Fontaine 81
Le Fou du Village 82
Le Chevalier de Paris* 84
Vent Printemps 86
Jamais plus* 87
Chansons pour Pierre 88
La Fille Aveugle* 03
* Ces trois chansons qui ont été mises en musique par Philippe GÉRARD ont été éditées
par la maison Enoch, 27, Boulevard des Italiens, à Paris.
ACHEVÉ D'IMPRIMER
SUR LES PRESSES DES
IMPRIMERIES OBERTHUR
POUR LES ÉDITIONS DU " GOELAND "
LE 24 DÉCEMBRE MCML
EN LA VEILLE DE NOËL
Dépôt légal éditeur n° 0002.
Dépôt légal imprimeur n° 4090.
1
ÉDITION DU GOELAND
PARAMÉ (I.-&-V.)
Théophile BRIÂNT
Chateaubriand F ils de la mer et Seigneur de Combourg
Avec trois illustrations 100 fr.
Louis Le CUNFF
La Ville Exsangue
Prix de Poésie du « Goéland » 1947 160 fr.
Amédée GUILLEMOT
J'avais un Enfant
Prix de Poésie du « Goéland » 1948 120 fr.
Jeanne SANDELION
Pour un Enfant Perdu
Poèmes 160 fr.
Le Goéland Illustré
Album Souvenir contenant 175 clichés parus de 1936 à
1949 250 fr.
Prix : 420 francs
Dépositaire :
Librairie « Les Nourritures Terrestres »
19, Rue Hoche - Rennes